L’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que "Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi".
Dans un paysage juridictionnel caractérisé par une dualité de juridiction, entre l’autorité judiciaire et la juridiction administrative, les constituants de 1958 ont estimé que seule la première disposait de garanties d’indépendance suffisantes pour garantir le droit à la sûreté et la liberté individuelle. Toutefois, la généralité des termes employés questionne l’étendue du champ de compétence de l’autorité judiciaire.
En effet, la formulation de l’article 66 suscite plusieurs interrogations, notamment sur la manière de lire les deux alinéas. Doivent-ils être lus solidairement, ce qui reviendrait à considérer que la liberté individuelle est synonyme du droit à la sûreté consacré au premier alinéa ? Ou, au contraire, doivent-ils être lus de manière dissociée dès lors que la liberté individuelle et le droit à la sûreté ne se recoupent pas complètement ?
De la réponse à ces questions dépend le champ d’application de l’article 66 et donc l’étendue de la compétence de l’autorité judiciaire. À cet effet, une analyse exhaustive de l’ensemble des décisions du Conseil constitutionnel relatives à la liberté individuelle a été menée. Elle a révélé que le contenu et la conception de la liberté individuelle ont évolué.
Dans un premier temps, de 1977 à 1999, le Conseil constitutionnel avait une conception extensive de la liberté individuelle, faisant de celle-ci le réceptacle de la liberté d’aller et venir, du droit au respect de la vie privée, de la liberté du mariage, de l’inviolabilité du domicile. Ce contenu extensif a éloigné l’article 66 de la logique d’Habeas corpus en ce qu’il est devenu une norme de consécration des libertés individuelles et non pas uniquement du droit à la sûreté.
Cependant, à la fin des années 90, le Conseil constitutionnel a modifié le contenu de la liberté individuelle en détachant progressivement les différentes libertés individuelles de l’article 66 ainsi que de la notion de liberté individuelle, pour ensuite les rattacher aux articles 2 et/ou 4 de la Déclaration de 1789 et à la liberté personnelle. Il a ainsi pu préciser le contenu de la liberté individuelle autour du droit à la sûreté, défini comme la garantie contre les privations arbitraires. Cette modification du contenu de l’article 66 rétroagit sur son champ d‘application et limite donc l’intervention obligatoire de l’autorité judiciaire aux seuls cas d’atteinte au droit à la sûreté.
Dès lors, au regard d’un contexte juridictionnel marqué par la conception française de la séparation des pouvoirs, cette évolution a eu pour conséquence de faire de l’article 66 une clé de répartition du contentieux des libertés individuelles : l’autorité judiciaire étant compétente pour le contentieux des atteintes à la liberté individuelle ; la juridiction administrative pour le contentieux des atteintes à la liberté personnelle. Ce redéploiement de la portée contentieuse de l’article 66 remet en question l'argument statutaire qui, historiquement, justifiait le rôle de gardienne de la liberté individuelle conféré à l’autorité judiciaire. Il semble en effet qu’aujourd’hui il n’y a plus d’asymétrie notable entre les garanties d’indépendance des deux ordres de juridiction, de telle manière que l’article 64 ne suffit plus à justifier le rôle de l’autorité judiciaire dans la garantie de la liberté individuelle.
Il existe dès lors un décalage entre le texte constitutionnel et la réalité juridictionnelle qui peut amener à une réflexion sur la réécriture de l’article 66 et du Titre VIII de la Constitution. L’article 66 n’a donc jamais été uniquement une disposition constitutionnelle consacrant la garantie de la liberté individuelle. Il a toujours été davantage, soit dans son contenu, soit dans la portée qui lui a été donnée.