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Constitution de la Ve République : entretien avec Ferdinand Mélin-Soucramanien

L'association "Le parlement des étudiants" a interviewé Ferdinand Mélin-Soucramanien sur sa vision actuelle de la Constitution de la Ve République.

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Quelles seront, d'après vous, les potentielles futures révisions de la Constitution de la Ve République ?

"Il est assez difficile de concevoir qu’une révision de la Constitution de la Ve République puisse advenir à court ou moyen terme dans le contexte actuel.
En effet, premièrement, le président de la République, M. Emmanuel Macron, qui, en vertu de la Constitution, détient principalement la compétence de déclencher la révision et le pouvoir, non moins important, de l’orienter vers le Congrès ou le référendum, a perdu la main.

Deuxièmement, alors que la Constitution prévoit qu’un projet ou une proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques, nul n’ignore que le gouvernement Barnier ne dispose de la majorité ni à l’Assemblée Nationale, ni au Sénat.

Troisièmement, si, comme cela a été le cas pour presque toutes les révisions de la Constitution selon la procédure prévue à l’article 89, à l’exception d’une seule portant sur le quinquennat en 2000, ce projet devait être soumis au Parlement réuni en Congrès, il lui resterait encore à réunir une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. La barre semble bien haute en cette période troublée qui ne se prête guère au consensus et à l’unité nationale.

Pourtant, plusieurs révisions de la Constitution sont : soit indispensables, comme celle qui pourrait être proposée pour modifier le statut de la Nouvelle-Calédonie dont la date de péremption est dépassée depuis six ans ; soit fortement nécessaires, comme celle sur le statut des magistrats du parquet qui a déjà conduit la France à être condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme ; soit, selon nous, opportunes, comme celles qui pourraient être imaginées sur le renforcement du pouvoir juridictionnel dans notre pays ou encore sur la revitalisation de la responsabilité politique, par exemple."

Au regard des dernières élections législatives, la Constitution de la Ve République peut-elle encore être considérée légitimement comme le texte suprême ? Est-elle encore une garantie pour la démocratie actuelle ?

"Oui, bien entendu. Les dernières élections législatives n’y changent rien. Cependant, il est vrai que les attaques contre l’État de droit, c’est-à-dire le principe selon lequel l’ensemble de l’action des pouvoirs publics, y compris celle du Parlement, doit être soumis au respect de la règle de droit et, donc en dernier lieu, au respect de la Constitution, se multiplient.

Aujourd’hui, cette remise en cause d’une forme de "civilisation du droit constitutionnel" ne provient plus seulement de groupuscules extrémistes, mais elle se fait entendre au sein du Parlement et, ce qui est nouveau, au sein même du Gouvernement. Dès lors, la question existentielle qui va se poser, qui se pose peut-être déjà , pour nos institutions est celle de savoir si, comme on le dit dans un sport que j’affectionne, elles seront suffisamment solides à l’impact. Il est évidemment impossible ici de spéculer sur l’avenir et je ne souhaite pas jouer les Cassandre.
On notera seulement que, pour l’instant, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, entre autres, représentent des gardiens vigilants de l’État de droit."

Finalement, d'après vous, faudrait-il changer la Constitution ou change de Constitution ?

"Cette opinion n’engage que moi, mais je crois sincèrement que la Constitution de la Ve République est parvenue au terme d’un cycle. Depuis plusieurs années désormais, les dérèglements institutionnels se multiplient sans que la Constitution ne parvienne à y remédier.
Conçue en 1958, alors que l’Union européenne faisait ses premiers pas, que la mondialisation n’avait pas l’ampleur qu’elle a aujourd’hui, dans l’objectif principal de renforcer le pouvoir exécutif afin de mettre fin à une guerre civile coloniale qui menaçait de se propager à l’ensemble du territoire national, la Constitution de la Ve République a peut-être fait son temps. Soixante-six ans paraît représenter un âge raisonnable pour prendre une retraite bien méritée.

Je ne conteste pas les multiples qualités que revêt cette Constitution. La première d’entre elles, souvent relevée, étant sans doute son extrême plasticité. Mais, je crois qu’il faut aussi ne pas dissimuler ses défauts. À mes yeux, le plus rédhibitoire étant l’absence de responsabilité politique du pouvoir exécutif.
Le président de la République, comme on le sait, est irresponsable politiquement en droit comme le prévoit la Constitution. Le Gouvernement, lui, est irresponsable en fait depuis 1962, date à laquelle le mécanisme de la motion de censure est devenu inopérant.

Pour finir, je voudrais laisser la parole à Georges Bernanos qui a écrit un jour que : "La réforme des institutions vient toujours trop tard, lorsque le cœur des peuples est brisé". On ne peut mieux dire."